L'handi-escalade et escalade adaptée : interviews.

Antoine, encadrant au Club Escalade Evasion Thionville :

« Les personnes concernées par le handi-escalade et le sport adapté au CEET ont différents profils.

     Nous avons des cours dédiés tout particulièrement à ces publics, en partenariat avec plusieurs structures. Dans ce cadre, nous accueillons des pratiquants atteints de troubles de l’attention et du développement (des enfants hyperactifs et des enfants autistes notamment).

    Nous avons également plusieurs grimpeurs avec un handicap qui sont intégrés dans nos différents cours tous publics, jusqu’au sein du groupe compétition.

    Nous développons aussi des cours de sport-santé en contact avec les réseaux de santé, en particulier à destination des femmes atteintes de cancer du sein.

    La principale difficulté pour accueillir et intégrer ces publics est la visibilité du club sur la scène associative.

    En effet, les institutions et les personnes concernées par le handicap ne pensent pas automatiquement au sport comme une option leur étant facilement ouverte. De plus, la coordination entre la fédération de Handi-Sport et les fédérations spécialisées comme la FFME n’est pas toujours évidente… »

    La FFME vient (en 2020) d’obtenir l’agrément pour l’handi-escalade, ce qui devrait faire évoluer les choses.

    « L’encadrement du handicap en lui-même ne pose pas beaucoup de problèmes d’adaptation. Bien sûr, il est préférable que l’intégration se fasse dans des petits groupes, aux effectifs allant jusqu’à quinze personnes.

    Ensuite, une sensibilisation à la différence de la personne en situation de handicap en direction des autres pratiquants s’avère en général bénéfique. Ainsi, différents acteurs vont se mobiliser pour accompagner la pratique de la personne handicapée : sa famille lorsqu’elle souhaite l’accompagner, mais aussi l’encadrant qui lui octroie une attention supplémentaire et les autres grimpeurs, même les plus jeunes.

    De plus, pour la plupart des handicaps, aucune adaptation en termes de support – ouverture de voie ou bloc spécifiques par exemple – n’est nécessaire. La majeure partie de l’adaptation se fait dans l’organisation des séances : proposer des consignes adaptées aux handicapés visuels, prolonger la période d’apprentissage des techniques de sécurité de base pour les handicaps mentaux,… Il convient en effet de prendre en compte leurs contraintes mais surtout leurs capacités afin de leur proposer des séances dans lesquelles ils peuvent s’épanouir pleinement !

    Il faut essayer d’inclure au maximum les publics avec handicap au sein des groupes « classiques » pour se rendre compte que cela est totalement possible dans de bonnes conditions et que cette inclusion constitue une richesse et une ouverture pour tous les grimpeurs. »


 

 Un encadrant de l'Association Munster Escalade :

    « Nous accueillons pour la 4ème saison un jeune autiste de 20 ans. Son handicap est lourd, il ne communique pas à l’oral, il a des difficultés gestuelles (la pince est difficile au niveau des mains, ses articulations manquent de souplesses). 

     Nous avons accepté qu’il intègre le groupe de jeunes que nous encadrons à condition qu’il soit toujours accompagné (l’un de ses parents mais également son oncle se relayent). Sans cela, ce serait impossible.

    Lors des premières séances, il n’y avait aucune participation à l’échauffement, il ne faisait pas du tout son nœud d’encordement, s’arrêtait à la 1ère dégaine dans les voies, ne dépassait guère plus de 2 voies par séance…

    Aujourd’hui, il participe à l’échauffement, il fait seul son nœud sans erreur (3 fois sur 4), il monte en haut des voies, et redescend sans désescalader.

    Il accepte que Stéphane ou moi l’encouragions ou l’aidons à faire des choses inhabituelles.

    Il se laisse parfois toucher, ce qui n’était pas envisageable au départ.

   Il montre son désaccord parfois « violement ». C’est impressionnant pour les plus jeunes, mais nous avons pris le parti de verbaliser ce qu’il fait pour dédramatiser auprès des autres, et cela fonctionne !

   Les progrès qu’il a faits sont impressionnants. En dehors des progrès en escalade, sa maman nous a confié que les professionnels qui l’entourent ont observé un développement musculaire salutaire et une amélioration de sa posture. Il arrive dorénavant à gérer des gestes précis avec ses mains ce qui n’était pas le cas au départ.

   Les jeunes le saluent, l’encouragent et n’hésitent pas à partager gâteaux ou autres bonbons le cas échéant. Il fait vraiment partie du groupe même si les interactions sont différentes 

   Nous avons eu des périodes de doutes, l’accueillir n’est pas un long fleuve tranquille mais aujourd’hui il est heureux de venir, et cela nous fait vraiment plaisir… 

   Il me semble que le milieu associatif devrait avoir toujours à l’esprit une équité d’accès. Or, pour les personnes handicapées, surtout lorsque le handicap est d’ordre autistique, rares sont les portes qui restent ouvertes ! Ce n’est pas simple mais c’est, à mon sens, une belle façon pour une association de tenir cet objectif de « créer du lien social » sans abandonner personne... surtout pas les personnes les plus vulnérables ! »


Pierre, encadrant à l'Association Esprit Montagne Escalade Masevaux :

    « L'Association Esprit Montagne Escalade Masevaux est un “petit” club 100% bénévole avec une “grande” ouverture d’esprit.

    Nous pratiquons l’escalade pour tous, avec les moyens que nous avons. Nous avons ainsi accueilli un enfant autiste pendant 2 ans et actuellement, Elie, un lycéen ayant une malformation aux deux pieds et Sébastien, un adulte malvoyant (voir leurs témoignages).

    La philosophie de l’escalade est identique aux autres grimpeurs : la confiance en soi et en son assureur, 
- Le dépassement de soi.
- Le partage des expériences dans la convivialité.
- ...

Etape après étape, Sébastien et moi-même souhaitons aujourd’hui nous confronter lors de compétitions à des voies dédiées ainsi que rencontrer d’autres personnes porteuses de handicap afin de promouvoir ce magnifique sport qu’est l’escalade ».


 

Elie Bassi - grimpeur à l'Association Esprit Montagne Escalade Masevaux :

     « Bonjour !

     Je m’appelle Elie Bassi, j’ai 18 ans cette année et je suis en Terminale S au lycée Scheurer Kestner de Thann.

    J’ai commencé l’escalade l’année dernière, afin de pouvoir me vider l’esprit et de gagner confiance en moi. Je me suis renseigné pour savoir si la pratique de ce sport était compatible avec ma malformation. En effet, je suis né avec une agénésie radiale et bilatérale des membres inférieurs, un nom barbare pour désigner une absence de péroné, des pieds plus petits que la moyenne et des jambes plus courtes que la norme. Néanmoins, la pratique de l’escalade m’est autorisée.

    Les premières séances étaient dures, je n’avais jamais grimpé auparavant et j’ai eu longtemps une certaine appréhension du vide. Mais grâce aux conseils de Pierre, celui que j’appelle mon coach, j’arrive petit à petit à dominer cette peur et à mieux grimper.

    De plus, je grimpe avec Sébastien, un malvoyant qui ne cesse de m’impressionner de par sa technique et sa sagesse. Nous grimpons ensemble depuis mes débuts et je ne m’en lasse pas, à chaque fois que j’ai envie d’abandonner Pierre et Sébastien sont là pour me remonter le moral et m’encourager à dépasser mes limites !

    Au final, l’escalade est devenue une passion, et même si avec les cours et le bac qui approche j’ai moins de temps pour m’entrainer, je prends plus de plaisir à grimper qu’à mes débuts. Je pense aussi que ce sport me sera utile dans mes études supérieures afin de les aborder plus sereinement et de me vider l’esprit. »


Sébastien Walzer, grimpeur à l'Association Esprit Montagne Escalade Masevaux :

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Crédit photo : Sheila Farrell McCarron

    « Je me présente Sébastien 38 ans père d'une petite fille de 10 ans Vivant en couple dans une petite commune située environ à 25 km de grandes agglomérations. J'ai une grande partie de ma vision ainsi que de mon audition, qui ont disparu suite aux effets indésirables d'un traitement lourd.

    Suite à cela, il m'a fallu réapprendre à vivre différemment. Je ne pouvais plus conduire, faire des randonnées en VTT, ni même faire une ballade tout seul. Alors je me suis mis à la quête d'un sport que je pouvais pratiquer, qui m'intéressait et surtout qui me permettait de m'évader. Ma réflexion était longue et surtout parsemée d'embûches.

    Une fois les sports identifiés je me suis tourné vers des responsables handisport autour de moi. Malheureusement dans le secteur il n'y avait aucun club qui était certifié handisport, qui m’intéressait. Il est vrai que les responsables handisport m'avaient averti qu'il ne serait pas forcément simple d'aller se présenter dans un club qui n'est pas handisport pour l'intégrer.

    Nous avons donc pris l'initiative d'envoyer un e-mail de contact pour exposer mon cas afin d'obtenir un entretien. Nous avons eu une réponse positive avec proposition de rendez-vous pour se rencontrer une première fois. Celui-ci a continué par un essai la semaine d'après afin de voir si cela me plaisait. La seule interrogation était l'obtention de la licence avec mon handicap. Mais cela n'a posé aucun problème.

     J'ai donc intégré le club en septembre 2016. À ce moment-là, il a fallu improviser et trouver des solutions de guidage pour mon assureur afin que je puisse gravir la voie sans prendre les mauvaises prises. Et bien sûr me faire prendre de l'assurance en milieu vertical et surtout beaucoup de plaisir. Cela n'était pas trop difficile car la dynamique du club ainsi que toutes les personnes s'occupant de moi étaient très intéressées et investies pour me faire partager leur passion qui aujourd'hui est devenue la mienne.

    L'année suivante c'est au tour de ma fille d’intégrer le club ; motivée et dynamique elle a tout de suite commencé des compétitions locales. Et dans la foulée elle m'a dit : « papa, c'est quand que tu fais de la compétition toi ? ». Je lui ai répondu : « tu sais pour moi c’est encore très compliqué. Je ne vois pas les prises et je ne me sens pas encore tout à fait prêt. Peut-être qu'un jour pourquoi pas !" Car en plus avec mes problèmes d'audition cela est difficile de me guider dans les voies. Mais, le club était déjà en train de regarder pour l'acquisition d'appareils Bluetooth afin que l'on puisse communiquer à distance et que je puisse entendre les indications.

Sans savoir pourquoi, cette année-là se passe et je me sens de plus en plus serein sur des voies plus ou moins difficiles. C’est à ce moment-là que je dis à mon coach Pierre : « pourquoi pas un jour tenter une compétition ? » Il me dit : « à voir pourquoi pas un jour ».

    La nouvelle saison commence, et la salle se voit recouvrir d'un tout nouveau mur d’escalade. Au fur et à mesure des séances, il leur a fallu ouvrir des nouvelles voies. J’ai donc pu découvrir les voies uniques comme j'entendais parler en compétition. Pouvoir grimper sur ce type de voie dans ma situation était un vrai bonheur. J’ai trouvé cela magnifique un vrai régal car je ne pouvais en aucun cas me tromper de prise et j'avais le droit de tout prendre !

    Pour cette année-là ce n'était pas la seule chose qui avait changé. Il y a eu aussi la venue d'une autre personne qui présentait un handicap totalement différent du mien.

    Est alors arrivée l'inauguration de ce nouveau mur où j'ai eu pour la première fois le stress des regards qui se posent sur moi lorsque je grimpe. Oui, j'ai eu l'opportunité de faire une démonstration handi-escalade à cette occasion.

    Et pour démarrer une nouvelle aventure quelques semaines plus tard, Pierre m'a annoncé qu'il avait fait une formation d'éducateur handisport escalade. Suite à cela nous avons dû réajuster la façon de me guider pour plus de précision dans mes gestes. J’ai enfin pu insister un peu plus pour participer à une compétition handisport escalade.

    Handi 2

    C'est en ce début d'année 2019, qu'il m'a donc fait part de son souhait de m'inscrire à open national de handi-escalade dans le Bas-Rhin mais malheureusement pour moi cette compétition n'a pas eu lieu faute de participants. Mais nous ne sommes pas restés sur cet échec et nous avons eu l'opportunité de participer à titre de démonstration dans une compétition régionale à Hésingue.

    Après cela je me suis rendu compte que grimper sur un mur de 7 m ou sur un mur de 14 m est trois fois plus difficile même que cela ne fait que le double. Car au niveau endurance et résistance j'ai remarqué que je n'étais pas prêt du tout. Mais ma volonté de participer à des compétitions était de plus en plus forte et nous nous sommes donc entraînés beaucoup plus souvent et sur des voies beaucoup plus longues. Nous nous sommes donc inscrits à un nouvel open national handi-escalade organisé à Saint-Étienne.

    Après cette compétition, Pierre a vu qu'il y avait une compétition à Thionville, il a donc demandé si l'on pouvait participer en tant qu’handisport car cette mention n'était pas indiquée pour cette compétition. Je ne le cache pas, ce geste était volontaire de notre part afin de démocratiser l'handi-escalade à toutes les compétitions. Et cela a très bien fonctionné car d'une compétition standard nous sommes passés à une compétition standard plus handi-escalade J'espère que cela n'est que le début de cette histoire."

    A noter qu'à partir de 2020, toutes les compétitions officielles d'escalade difficultés sur la Région Grand Est pourront être ouvertes aux déficients visuels. Une demande doit être faite auprès de la Ligue (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.ou au 07 69 71 99 ) 2 mois avant la date de la compétition.

    "Pour conclure, et en tout premier je remercie le Club de Masevaux pour leur ouverture d’esprit concernant le handicap mais aussi pour leur dynamisme et le partage de leur passion. J'espère aussi que ce petit geste fasse bouger d'un côté les organisateurs de compétition ainsi que les autres clubs de toutes les régions de France voire au-delà, mais aussi que les personnes atteintes d'un handicap ne se laissent pas abattre dans leur coin et prennent autant de plaisir à faire du sport que j'en ai aujourd'hui. Car sans demande il ne peut pas y avoir d'opportunités. Et cela sans aller jusque la compétition mais juste en organisant des rencontres amicales dans la joie et la convivialité pour le plaisir du sport ! »